Un article de cœur aujourd'hui, sur ce qu'est la sexualité sacrée, véritablement, car l'expression est de plus en plus galvaudée. Entre les présentations à tendance New Age et les discours consuméristes, la plupart des gens qui s'intéressent au sujet sont ballotés d'illusions en mensonges. J'hésite d'ailleurs moi-même à employer une autre dénomination, du fait de ces méprises. L'article étant un peu long, je vous en donne le sommaire ici : (1) Ecueils de la sexualité (a. le new age, b. le discours commercial), (2) Les conséquences, (3) Ce qu'est la sexualité sacrée.
Commençons par évoquer ce que la sexualité sacrée n'est pas, en mettant à jour deux écueils actuels majeurs pourtant répandus :
- Le New Age : premier écueil de taille, car le mouvement New Age a contribué à révéler ces pratiques en Occident. A mon sens, le problème ici est que le NA valide une multitude de croyances d'horizons différents, qu'il mélange et place au même niveau. Il picore ainsi dans diverses traditions sans en embrasser l'entièreté des enjeux, et le résultat est une mosaïque pseudo-spirituelle. Les savoirs sont donc d'une part déracinés, mais aussi vidés de sens puisque morcelés. Ils sont également débarrassées de leur réalité moins "facile", c'est-à-dire des épreuves qui les constituent. Le NA a aussi contribué à faire croire que tout enseignement était accessible à ceux qui adhéraient à la croyance, requalifiés "d'éveillés". Mais de quel éveil parle-ton exactement ? Un éveil qui met à distance toute épreuve, là où l'épreuve est en réalité une initiation ? Cette sur-validation a donc conduit à une désacralisation. Ce phénomène, qui a commencé dans les années 60, renforce d'autant plus le silence des enseignants des sexualités sacrées quant aux techniques, pratiques et conduites à mener.
- Le discours marketing : second écueil que j'ai évoqué dans un précédent article [Sexualité sacrée ou marketing de la performance sexuelle ?, 05/10.2023]. La sexualité sacrée est à la mode, or qui dit mode dit produit à vendre. De là : multiplication de stages divers faisant des traditions des autoroutes du plaisir, et présentant les orgasmes multiples et la performance sexuelle comme le Graal. Là encore, ce discours contribue à la désacralisation de ces traditions, déjà parce qu'il en fait un produit, et ensuite parce que le Graal de la pratique est ailleurs. L'enseignement, encore une fois, et dévié, ce qui est d'autant plus problématique que ce discours est très répandu. Un premier résultat de ce phénomène a été la dégradation des enseignement tantriques. Même en Inde, les stages pour Occidentaux sont des stages consuméristes : l'offre s'est adaptée à la demande.
Utiliser la sexualité sacrée sans être habité par le sacré, sans s'inscrire dans une authentique démarche d'humilité, d'apprentissage, d'amour de soi puis d'amour de l'autre, et de dépassement, c'est s'approprier une tradition sans en respecter la direction. Gandhi le disait d'ailleurs en ces termes "le plus grand service que les occidentaux pourraient rendre à l'Inde, c'est de l'oublier".
Quelles conséquences ? Il y en a beaucoup, mais afin de rester centrée autour du sujet de la liturgie, je m'en cantonnerai à deux conséquences principales.
- Tout d'abord, les vrais praticiens sont rares. Ils l'ont toujours été, mais le sont d'autant plus que la thématique a été envahie et détournée.
- Autre conséquence, l'apparente accessibilité des pratiques fait que beaucoup de personnes pensent pouvoir pratiquer sans croire au principe divin. Il est évidemment impossible de pratiquer réellement et d'aller à la sève de ces traditions métaphysiques, sans porter en soi ce sens du sacré. Bien sûr, on peut s'essayer à quelques pratiques, mais celles-ci plafonneront rapidement. Je développe ce point ci-dessous.
La sève de la pratique de sexualité sacrée :
- Une pratique liturgique : Les sexualités sacrées sont issues de diverses religions, et elles font partie du suc spirituel et métaphysique de celles-ci. Ce sont des enseignements liturgiques réservés aux plus hauts disciples parmi un groupe lui-même resserré d'initiés religieux. C'est-à-dire qu'ils sont destinés à des moines, nonnes, prêtres, prêtresses, disciples, mystiques, sages, initiés, etc. Le monde d'aujourd'hui a remplacé la métaphysique par le physique, l'être par l'avoir, la laïcité a fait de l'argent un nouveau culte, écartant les mystiques en laissant croire que l'être spirituel était accessible moyennant finances. Sauf que lorsque l'on parle d'une pratique engagée spirituellement et destinée à des êtres ayant dédié leur vie au divin, il est évident que ce n'est pas accessible moyennant finances. Nul ne va au cœur de la pratique sans foi. Les sexualités sacrées ne sont pas athées. Elles sont tournées vers Dieu, quel que soit le nom qu'on lui donne, et la certitude vécue qu'il est en nous. Elles nécessitent un engagement entier et un sens du sacré qui implique sincérité, engagement, foi, déférence, amour et humilité. C'est pourquoi le terme de transcendance est aussi récurrent dans les textes. C'est pourquoi, également, le plaisir n'a jamais été le but. Il est une merveilleuse conséquence et fait d'ailleurs partie des voies mystiques, mais ne doit pas devenir l'objectif ; ce serait là un égarement dommageable. C'est pourquoi, enfin, le non-attachement est un pilier de ces traditions.
- Fusion de l'incarné et de l'essentialité : cette transcendance, c'est donc un moment de perception aigue et vécue au cours duquel le corps ressent l'âme et reconnaît le divin en lui. C'est là le grand enseignement de la sexualité sacrée : le corps se fait coupe et reçoit l'essence. Ce faisant, il devient un temple qu’on reconnaît et qu'on vit en tant que tel. Les sexualités sacrées sont donc des pratiques d'incarnation du divin. C'est ce qui a sous-tendu les rituels de hiérogamie pratiqués dans les temples, notamment dans le bassin Moyen-Oriental.
Je terminerai cet article sur ces mots : la sexualité sacrée est ce qu'un initié qualifiait de "plus puissante force magique de la nature". Elle l'est parce qu'elle fait le pont entre le physique et le métaphysique, l'incarné et le désincarné, et permet, via la transcendance (extase), de s'absorber simultanément dans les deux. Ce faisant, la Dualité est nulle, c'est-à-dire qu'elle devient Une, et il n'y a plus que l'Être.