La lenteur, un art de vivre. Parce que les sociétés modernes valorisent essentiellement la productivité et à travers elle le ‘progrès’, la lenteur est une rupture, et elle rompt en ramenant à soi. Suivre son rythme, son désir, prendre le temps de zoomer sur ce qu’on est appelé à savourer un peu plus longtemps, batifoler, butiner, prendre des détours. Cet article est le premier d'une série de deux articles sur la lenteur :
- La lenteur : le lâcher-prise dans l'onde du corps
- La lenteur : sexualité, plaisir, désir (publication dans 15 jours).
Nous parlons donc, aujourd'hui, du lâcher-prise et de l'onde dans le corps. La lenteur invite naturellement à une qualité de présence différente. Tout le monde fait d'ailleurs l'expérience opposée : dans la précipitation, on oublie tout un tas de choses, on peut se cogner, etc., tout cela parce que nous ne sommes pas présent à ce que vis le corps, mais uniquement pris dans le tourbillon de stress du mental. La lenteur invite donc à une qualité de présence authentique. Appliquée à la sexualité, cette lenteur a un effet démultiplicateur : étant pleinement présent aux sensations, celles-ci en paraissent décuplées. C'est alors le corps et sa sensorialité qui guident, abandon et ressenti se mêlent et animent les mouvements du corps. Ce n’est plus le mental qui guide (il n’y a plus de schéma coïtal type par exemple) parce que quand corps parle, rien n’est préétabli. C’est l’onde de plaisir qui met le corps en mouvement, le bassin qui vit et fait se mouvoir le corps, et non le mental qui dirige. Des pratiques spécifiques tantriques et taoïstes amènent à pratiquer dans et via le ralentissement, à intérioriser les mouvements.
En pratique : Je vous invite, pour ceux qui ne le font pas déjà, à partager un moment d’intimité tout en lenteur avec votre partenaire. Prendre le temps de déshabiller. De contempler. De sentir le contact, contact de l'oeil tout d'abord. Attendre avant d'embrasser, puis prendre le temps de s’immerger dans le baiser, longtemps. Et je vous laisse à votre créativité pour la suite…
Vous le verrez par la pratique, la lenteur permet de savourer, de redonner de l’importance à ce que l’on ne voit plus. Elle revalorise et met de côté la course performative omniprésente en sexualité. Merveilleux apport pour contrer l’ennui donc, et pour ré-enchanter. Les pratiques de Slowsex partent d'ailleurs de cet objectif. Le livre de Diana Richardson sur le sujet est particulièrement intéressant, en théorie et en pratiques.
Pour aller plus loin : la lenteur, poussée à l'extrême, est liée au silence. Ce n’est pas un
hasard qu’elle soit un aspect aussi important des traditions sexuelles sacrées,
qui ont pour vocation de réintégrer en conscience à l'Unique, présence transcendantale. Parce que la lenteur, poussée à l'extrême, devient l'immobilisme et à travers lui la réceptivité, c'est une posture assimilable à la
méditation. Pour les musiciens parmi vous, une comparaison dans votre domaine : l’immobilité est au geste ce que le silence est à la musique. Miles Davis disait d’ailleurs que « la véritable musique est le silence et toutes les notes ne font qu’encadrer ce silence ». Le silence, c’est la page blanche, c’est-à-dire le potentiel. S’immerger dans le corps sans le mental, c’est permettre à sa musique intérieure de se déployer, et non pas aux schémas normés de se réécrire inlassablement.
Ce sont ces silences, dans le corps et le mental, qui ouvrent l’espace au déploiement.
Girl in yellow drapery, John William Godward, 1901